Les choix des libraires

Le Wok Machine à Lire guide vos lectures

Les choix des libraires


Au lieu du péril, Luba Jurgenson

Éditions Verdier
128 pages
13,50€

jurgenson

Le bilinguisme attend son chroniqueur, un chroniqueur terre à terre, qui suivra pas à pas les indices corporels du décentrement. C’est la tâche que je me donne ici : traquer les signes physiques, le tracé palpable de cet hébergement réciproque.
Il s’agit donc d’un reportage. Mais la matière que je cherche à décrire est également celle dont je me sers pour la décrire. C’est comme raconter un incendie avec du feu. Le musicien vous parlera de son instrument, le tailleur, l’ébéniste, le cordonnier, le jardinier, le marin – tous auront des choses à raconter en rapport avec leurs outils et la matière qu’ils travaillent. Pour l’écrivain, l’outil et la matière sont une seule et même chose. La matière de la langue est travaillée avec l’outil de la langue.
L’écrivain façonne lui-même son instrument, chevillé à son corps. En parler, c’est mettre en scène ce corps qui écrit. Le bilingue écrivant – catégorie à laquelle j’appartiens – utilise des outils à double tranchant. Le but de ce livre, c’est de les voir à l’oeuvre. Il arrive que l’on éprouve le besoin de raconter son métier. Pour moi : l’expérience très concrète d’habiter le langage – d’être habitée par lui – en double.
J’ai dit « outil ». Il s’agit bien sûr d’une illusion d’optique. On croit « se servir » de la langue comme on croit que le soleil tourne autour de la terre. En réalité, elle se sert de nous pour vivre et évoluer. Nous sommes son instrument et elle nous façonne en se laissant façonner par nous. Nous sommes sa matière qu’elle travaille tout en se laissant travailler.
Dans une vie vouée à questionner le langage, il arrive un moment où il devient urgent de faire place à ce qui constitue le corps du langage : la langue.
Ce livre n’est pas un retour sur soi, mais une coupe transversale qui se dit la plupart du temps en récits, en anecdotes – en situations. Il s’ouvre sur le témoignage d’une expérience singulière, en montagne, qui s’achève sur un constat : « Au lieu du péril, croît aussi ce qui sauve. »

Un choix de Camille


Autour du monde, Laurent Mauvignier

Éditions de Minuit
384 pages
19,50€

mauvignier   Rencontrer une fille tatouée au Japon, sauver la vie d’un homme sur un paquebot en mer du Nord, nager avec les dauphins aux Bahamas, faire l’amour à Moscou, travailler à Dubaï, chasser les lions en Tanzanie, s’offrir une escapade amoureuse à Rome, croiser des pirates dans le golfe d’Aden, tenter sa chance au casino en Slovénie, se perdre dans la jungle de Thaïlande, faire du stop jusqu’en Floride.

Le seul lien entre les personnages est l’événement vers lequel tous les regards convergent en mars 2011 : le tsunami au Japon, feuilleton médiatique donnant à tous le sentiment et l’illusion de partager le même monde.

Mais si tout se fond dans la vitesse de cette globalisation où nous sommes enchaînés les uns aux autres, si chacun peut partir très loin, il reste d’abord rivé à lui-même et à ses propres histoires, dans l’anonymat.

Un choix d’Hélène et Camille


La sélection d’été 2014

Retrouvez notre Sélection d’été 2014


Le cycliste de Tchernobyl, Javier Sebastián

Éditions Métailié
208 pages
18 €

le cycliste de tchernobylUn vieil homme hagard, entouré de sacs remplis de vêtements, est abandonné dans un self-service sur les Champs-Elysées. « Ne les laissez pas me tuer », c’est tout ce qu’il sait dire.
Pripiat, ville fantôme, à trois kilomètres de la centrale de Tchernobyl : dans les rues désertes, entre la grande roue neuve et les auto tamponneuses abandonnées , pas âme qui vive. Sauf les samosiol, ceux qui sont revenus dans la zone interdite. Laurenti Bakhtiarov chante Demis Roussos devant la salle vide du ciné-théâtre Prometheus, deux américains givrés testent les effets de la radioactivité sur leur corps… Au cœur d’une apocalypse permanente, Vassia, le cycliste, croit encore à la possibilité d’une communauté humaine.
Ce roman magistral est librement inspiré de la vie de Vassili Nesterenko, physicien spécialiste du nucléaire, devenu l’homme à abattre pour le KGB pour avoir tenté de contrer la désinformation systématique autour de Tchernobyl.
Des paysages hallucinés aux aberrations du système soviétique, Sébastián signe un texte d’une force rare, à la fois glaçant et étrangement beau, hymne à la résistance dans un monde dévasté.

Un coup de cœur de Hélène.


Un coup de téléphone du ciel, Sandro Veronesi

Éditions Grasset
240 pages
18€

un coup de telephone du cielAcclamé comme un véritable chef-d’oeuvre, Prophétie, qui ouvre ce recueil, traite des difficultés d’un fils qui accompagne son père tout au long d’une maladie aussi éprouvante qu’incurable. Veronesi nous emporte dans son monde, où règne l’obsession du mal, de l’amour, de la mort. On saisit les personnages au tournant de leur vie, ou à l’époque de leur maturité tourmentée, hantés par des questions irrésolues dont les réponses engendrent parfois des conséquences dramatiques. Un briquet problématique atterrit dans le moteur d’une voiture, une vieille voix au téléphone veut parler à une inconnue, une simple promenade à Paris se termine par l’inquiétante traversée à pied des Champs-Élysées – il faut le lire pour le croire. Ce que vivent les protagonistes de ces nouvelles est banal et extraordinaire à la fois, si bien que l’on a envie d’accompagner ces gens ordinaires pour donner un sens à ce qu’ils font, alors que la vie se poursuit, toujours inexorable et impitoyable.
On retrouve l’écriture forte de Chaos calme qui oscille entre le rire et la cruauté.

Un coup de cœur de Hélène.


Home, Toni Morrison

Éditions 10/18
144 pages
6,10 €

homeFrank Money est Noir, brisé par la guerre de Corée, en proie à une rage folle. Il doit retrouver à Atlanta sa jeune soeur Cee, gravement malade, afin de la ramener dans la ville de leur enfance en Géorgie – «le pire endroit du monde». S’engage pour lui un périple dans l’Amérique ségrégationniste des années 1950 où dansent toutes sortes de démons. Avant de trouver, peut-être, l’apaisement. Parabole épurée, violemment poétique, Home conte avec une grâce authentique la mémoire marquée au fer d’un peuple et l’épiphanie d’un homme.

Un coup de cœur de Hélène.


Un feu d’origine inconnue, Daniel Woodrell

Éditions Autrement
184 pages
15 €

un feu d origine inconnue« Devant le nombre de jeunes morts ou défigurés, dans une ville qui comptait à peine quatre mille habitants, une clameur d’indignation désespérée s’éleva, appelant à la justice. »
Missouri, 1929 : travailleurs, petits bourgeois, cul-terreux, prêtres et hors-la-loi se côtoient dans la petite ville ordinaire et misérable de West Table. Cet été-là, un terrible incendie ravage le Arbor Dance Hall. Trente années plus tard, Alma raconte le drame à son petit-fils Alek : les corps carbonisés propulsés dans les airs, sa soeur Ruby et ses amours coupables, les errements de l’enquête, la vérité enfin. Mais il n’y a pas de vérité dans une petite ville du Midwest – tout au plus des événements que chacun accepte de taire. Dans un tourbillon de portraits saisissants de vérité, servis par une langue à la pureté tranchante, c’est la ville tout entière qui se révèle.

Un coup de cœur de Hélène.


Eux sur la photo, Hélène Gestern

Éditions Arléa
280 pages
12€

eux sur la photoUne petite annonce dans un journal : Hélène cherche la vérité sur sa mère, morte lorsqu’elle avait trois ans. Son seul indice : deux noms sur une photographie retrouvée dans des papiers de famille. Une réponse arrive : Stéphane a reconnu son père. Commence alors une correspondance, parsemée de détails, d’abord ténus puis plus troublants. Patiemment, Hélène et Stéphane remontent le temps jusqu’à ce que leurs histoires se répondent.
Avec Eux sur la photo, Hélène Gestern nous livre une magnifique réflexion sur le secret de famille et la mémoire particulière que fixe la photographie.

Un coup de cœur de Hélène.


Les solidarités mystérieuses, Pascal Quignard

Éditions Gallimard
272 pages
18,80€

les solidarites mysterieuses«Ce n’était pas de l’amour, le sentiment qui régnait entre eux deux. Ce n’était pas non plus une espèce de pardon automatique. C’était une solidarité mystérieuse. C’était un lien sans origine dans la mesure où aucun prétexte, aucun événement, à aucun moment, ne l’avait décidé ainsi.»

Un coup de cœur de Hélène.


Le chemin des morts, François Sureau

Éditions Gallimard
64 pages
7,50€

le chemin des mortsParis, début des années 1980. Un ancien militant basque refuse de rentrer en Espagne après vingt ans d’exil. Il réclame la protection de la France, car il se dit menacé de mort dans son pays. Pour la justice française, l’affaire est délicate. Accéder à cette demande, c’est nier le retour de l’Espagne à la démocratie et à l’État de droit. Refuser serait faire preuve d’aveuglement sur la réalité de ces assassinats visant régulièrement les ex-opposants du franquisme. C’est au narrateur de ce livre, un jeune juriste encore inexpérimenté, qu’il va revenir de trancher.
De la décision de justice qui sera prise et du drame qui en découlera, François Sureau a tiré le plus bref et le plus saisissant de ses textes.

Un coup de coeur de Hélène.


La méthode arbogast, Bertrand de La Peine

Éditions de Minuit
128 pages
13€

la methode arbogastRien de tout cela ne serait arrivé s’il n’y avait pas eu ce moineau. Ni cette chute du haut du bouleau. Valentin Noze n’aurait pas connu le docteur Arbogast, ni sa méthode d’hypnose par l’image, encore moins ses grenouilles. Il ne se serait pas retrouvé sur l’île de Madagascar, et n’aurait pas eu à fuir devant un cyclone ou à pourchasser un ancien mercenaire à travers la forêt de la Montagne d’Ambre… Et puis surtout, il n’aurait pas rencontré Sibylle. Bref, il n’aurait rien vu.

Un coup de cœur de Hélène.


Nos mères, Antoine Wauters

Éditions Verdier
160 pages
14,60€

nos mèresDans un pays du Proche-Orient, un enfant et sa mère occupent une maison jaune juchée sur une colline. La guerre a emporté le père. Mère et fils voudraient se blottir l’un contre l’autre, s’aimer et se le dire, mais tandis que l’une arpente la terrasse en ressassant ses souvenirs, l’autre, dans le grenier où elle a cru opportun de le cacher, se plonge dans des rêveries, des jeux et des divagations que lui permet seule la complicité amicale des mots. Soudain la guerre reprend. Commence alors pour Jean une nouvelle vie, dans un pays d’Europe où une autre mère l’attend, Sophie, convaincue de trouver en lui l’être de lumière qu’elle pourra choyer et qui l’aidera, pense-t-elle, à vaincre en retour ses propres fantômes.
Ce texte, cruel et tendre à la fois, est avant tout le formidable cri d’un enfant qui, à l’étouffement et au renoncement qui le menacent, oppose une affirmation farouche et secrète de la vie. C’est ce dur apprentissage, fait d’intuition et de solitude, qui lui ouvrira plus tard des perspectives insoupçonnées.

Un coup de cœur de Hélène.